Vignette 1Le mardi 13 mars 2018, la SO.P.PHI a été entendue au ministère de l’éducation nationale par le Conseil Supérieur des Programmes. Son président, Jean-Marie FREY, et le représentant de la régionale de Limoges, Guillaume PIGEARD DE GURBERT, ont rappelé quelle est la position la Société des Professeurs de Philosophie concernant la nature de l'enseignement de la philosophie au lycée, et ils ont fait parvenir au CSP une série de propositions touchant aux programmes :


La Société des Professeurs de Philosophie est la seule association de professeurs de philosophie qui a soutenu le rapport de la commission Mathiot. À présent, elle soutient la réforme du lycée engagée par le Ministre de l’éducation nationale. Son soutien s’explique par ses positions concernant la place et la nature de la philosophie dans l’École de la République. Il faut dire qu’elle a, depuis maintenant dix ans, toujours défendu le principe d’un programme de philosophie et d’une épreuve au baccalauréat qui soit communs à toute la voie générale.

1) La philosophie au lycée : une culture de la liberté

Depuis les instructions du programme de 1880, puis les instructions de 1925, l’enseignement de la philosophie dans les lycées français est envisagé comme un moment de réflexion sur la culture littéraire, scientifique et technique que les élèves ont rencontrée lors de leurs études tout au long de leur scolarité. Elle est également une voie d’accès à l'exercice réfléchi du jugement qui permet « à l’homme de métier de voir au-delà du métier » (Instructions de 1925) et d’accéder ainsi à une citoyenneté éclairée. Autant dire que l’enseignement de la philosophie est indissociable de l’idée de liberté. Pour cette raison, il ne saurait être question d’enseigner une philosophie officielle dans les lycées de la République. Et c’est d’emblée la nature du programme de philosophie au lycée qui se trouve déterminée.

Puisqu’il n’est pas question d’apprendre une philosophie au lycée, alors il faut apprendre à philosopher. En d’autres termes, la leçon de philosophie ne doit consister qu’en une seule chose pour le maître dans sa classe : poser et instruire un problème philosophique avec ses élèves . Cela permet d’écarter toutes les dérives historiennes ou doctrinales. Pour cette raison, le programme de philosophie ne peut être qu’un programme de notions puisqu’une notion philosophique n’est rien d’autre, précisément, que ce qui définit un champ de problèmes. Au reste, parce que ce programme est un programme de notions, la doxographie n’a pas sa place dans l’élaboration d’une leçon de philosophie digne de ce nom. Lorsque le maître et l’élève éprouvent l’inquiétante résistance d’un réel qui ne se laisse pas aisément appréhender, c’est d’abord un problème qu’ils rencontrent, et non en premier lieu une doctrine. Et le recours aux grands auteurs n’a de sens que dans la mesure où il permet de poser et d’instruire ce problème. N’est-ce pas l’exercice de la pensée philosophique qui est ici en jeu ? On le voit, le programme de philosophie dans les lycées de la République ne peut être qu’un programme composé d’une liste de notions, étudiées notamment dans le cadre de l’étude suivie d’une œuvre philosophique, et d’une liste d’auteurs.

2) L’élémentarité du programme de philosophie : une condition de l’égalité

La singularité de l’enseignement de la philosophie au lycée tient également aux personnes auxquelles il s’adresse : des élèves qui sont de jeunes esprits et qui, pour la plupart, ne recevront cet enseignement qu’une seule fois dans leur parcours de formation. Pour cette raison, cet enseignement est nécessairement élémentaire. Le professeur de philosophie sait que pour être entendue, sa leçon doit être à la portée de ses élèves. Toutefois, il ne considère pas les lycéens comme des êtres limités seulement capables d’une pensée rudimentaire et qui devraient, pour cette raison, se contenter d’une ébauche de réflexion, de bribes d’analyses, c’est-à-dire au mieux d’une philosophie seulement à l’état de fermentation. À ses yeux, les élèves sont au contraire des êtres perfectibles et donc susceptibles de s’engager dans un exercice effectif de la pensée philosophique. Et il garde à l’esprit que ce travail est une introduction philosophique à la philosophie comme pensée en acte. Aussi, il ne se demande pas ce qu’il peut dire lorsqu’il examine une notion. Lorsqu’il élabore une leçon, il se demande d’abord : « qu’est-ce que je ne peux pas ne pas dire en examinant cette notion ? » Car c’est ainsi qu’il pourra montrer qu’un champ de problème est bien délimité, qu’il fera surgir l’élémentaire, et que son enseignement revêtira un caractère authentiquement républicain. Ce qui délimite un champ de problème, ce sont à la fois les distinctions entre les termes voisins (par exemple la liberté et la volonté) et la mise au jour des présuppositions plus ou moins silencieuses que véhiculent non seulement les notions (par exemple le vivant est une détermination de la vie comme objet de science) mais les questions (« Peut-on perdre sa liberté ? » présuppose a) que l’on a une liberté (on ne peut pas perdre ce que l’on n’a pas) : mais a-t-on une liberté ? ; b) que la liberté est de l’ordre des choses que l’on a : la liberté est-elle quelque chose que j’ai ou ce que je suis ?).

D’abord, l’élémentarité cultive la liberté. Car l’élémentaire en philosophie n’est pas tel ou tel contenu déterminé, mais l’acte même de poser un problème en produisant les distinctions qui y conduisent et en mettant au jour les présupposés d’une notion ou d’une question qui font justement problème. Lorsque les problèmes élémentaires sont instruits, chaque élève a en main les éléments qu’il peut « recombiner » comme il le veut. Cela signifie qu’il ne sera pas contraint de répéter un cours au moment de l’évaluation. Il aura la liberté de produire les actes philosophiques qu’il juge nécessaire pour poser un problème, et ce sont ces actes qui sont attendus, et non tel contenu déterminé. Pour cette raison, l’élémentaire dans les programmes de philosophie est le contraire d'une détermination qui emprisonnerait les esprits ! À tous ceux qui proposent de déterminer les programmes de philosophie des classes terminales au détriment de la liberté, la SO.P.PHI oppose donc la réalité pédagogique de l’élémentarité parce que philosopher, dans l’École de la République, c’est travailler à « substituer enfin l’ambition d’éclairer les hommes à celle de les dominer » (Condorcet, Rapport sur l’instruction publique, II). Mais la Société des Professeurs de Philosophie sait bien que le lycée a changé en s’ouvrant à des élèves qui, il y a peu, n’accédaient pas à ce niveau de formation. Aujourd’hui, les élèves qui entrent en classe terminale sont bien plus nombreux. C’est heureux ! Dorénavant les lycées sont ouverts à de jeunes esprits qui sont issus de milieux sociaux divers. Or, précisément, un enseignement élémentaire de la philosophie s'adresse à tous. Il participe à l’institution d’une égalité véritable. Autrement dit, il écarte résolument les complicités culturelles dont pâtissent les plus démunis. Ce point est essentiel. L’enseignement de la philosophie au lycée constitue une occasion d’un nouveau départ pour nombre d’élèves ailleurs en difficultés. En philosophie, les bases s’acquièrent en terminale. Par sa nature élémentaire, cet enseignement réalise donc en terminale les conditions réelles d’une égalité scolaire.

Ces principes expliquent pourquoi après avoir soutenu sans réserves le Rapport de la commission Mathiot , la SO.P.PHI soutient la réforme du lycée qui est engagée. Mais à présent il faut en tirer les conséquences nécessaires relativement au contenu du programme :

- Non seulement il ne peut s’agir que d’un programme de notions, mais par surcroît il faut que ces notions soient des notions communes et partagées, et elles-mêmes suffisamment élémentaires pour que leur examen avec les élèves revête ce même caractère d’élementarité sans lequel l’égalité entre les élèves n’est qu’une revendication abstraite. Cela signifie qu’il est nécessaire de faire évoluer les programmes qui sont en vigueur depuis 2003. Il faut que disparaissent ou soient remplacées les notions qui n’ont pas leur place dans le cadre d’un enseignement qui s’adresse à tous. Pour parvenir à cet objectif, il faut se demander quelles sont les notions qui ne peuvent pas ne pas être retenues afin que cet enseignement soit effectivement réalisé. C’est pourquoi nous proposons, par exemple, de substituer à la notion de vivant celle de vie : l’une présuppose déjà une détermination scientifique alors que l’autre a un sens commun.

Évidemment, le nombre de notions doit être proportionné à l’horaire de quatre heures qui sera dévolu à la philosophie. Mais ce nombre ne doit pas être trop restreint puisqu’il détermine les sujets qui pourront être donnés lors de l’épreuve de philosophie au baccalauréat. Et gardons-nous de croire qu’il suffise de limiter le nombre de notions pour « alléger » le travail des élèves ! Sinon, une seule notion serait l’idéal, et pourtant l’on sait bien que c’est justement ce qui est proposé en deuxième année des classes préparatoires aux Grandes Écoles parce que le travail d’une année scolaire sur une seule notion, ce n’est plus un travail élémentaire. Et puis la liste des notions ne peut pas ne pas envisager les grandes modalités du rapport de l’homme au réel que sont la science, la religion, l’art, la technique, la morale et la politique.

La liste des repères des programmes de 2003 ne saurait être conservée. Ces repères sont nombreux, ce qui fait apparaître une complication qui contrarie le principe d’élémentarité. Et dans le même temps, cette liste apparaît marquée par un certain arbitraire. Ne doit-on pas envisager également d’autres distinctions (geste/acte ; autre/étranger ; évidence/ certitude, etc.) ? Au reste, le traitement des notions aussi bien que de leur relation exige de construire les distinctions qui permettent de les définir. Ces distinctions concernent non seulement les notions du programme mais plus largement le champ lexical propre à chacune (beau/joli pour l’art ; évidence/certitude pour la vérité, etc.). Elles doivent contribuer à construire la cohérence et l’unité du cours dans son ensemble, en veillant à les réemployer dans le traitement de notions différentes (la distinction entre un geste et un acte peut par exemple être introduite dans le traitement de la liberté et mobilisée ultérieurement dans la leçon sur l’art et la création, mais aussi dans la leçon sur la conscience, sur l’histoire, etc.).

On notera que la présentation de la liste des notions revêt une certaine importance. Il faut qu’elle soit compréhensible par tout citoyen qui consulterait le programme. Mais il ne faut pas qu’elle impose un ordre, puisque cela serait contraire à l’esprit de liberté et à la logique même qui anime le travail philosophique sur des champs de problèmes qui se recoupent nécessairement. La SO.P.PHI propose donc un tableau qui obéit à ces exigences.

- La liste des auteurs doit elle-même être reconsidérée. Pourquoi, dans les programmes actuels, trouve-t-on des auteurs dont les écrits ne sont pas élémentaires ? De tels auteurs ne permettent pas de choisir une œuvre pouvant faire l’objet d’une étude suivie, et ils ne permettent pas non plus d’envisager un texte court qui pourrait être donné comme sujet d’examen le jour de l’épreuve du baccalauréat. Cela se vérifie lorsque l’on consulte les sujets du baccalauréat qui ont été retenus depuis 2003. La SO.P.PHI propose donc une liste réduite d’auteurs en vertu du principe d’élémentarité.

Au demeurant, il faut avoir à l’esprit ceci que le programme de philosophie qui nous intéresse sera le programme du CAPES de philosophie, et qu’il convient de faire en sorte que les étudiants et les universitaires qui les forment ne soient pas détournés des exigences de l’enseignement de la philosophie en terminale par une liste d’auteurs qui semble inviter à perdre de vue le principe d’élémentarité. La SO.P.PHI ne serait pas hostile à l’introduction d’une liste d’ouvrages qui répondraient à ce principe. Il s’agirait d’une liste fixe d’ouvrages retenus en vertu du caractère élémentaire des problèmes philosophiques qu’ils permettent de poser et d’instruire en liaison avec les notions du programme . Ce principe de l’élémentarité ne limite naturellement pas la liste des auteurs dont le professeur fera usage dans son cours.

3) L’épreuve universelle de philosophie au baccalauréat : l’authentique évaluation d’une compétence acquise

Les formes de discours écrit les plus appropriées pour évaluer le travail des élèves en philosophie sont la dissertation et l'explication de texte. Ces deux exercices ont en commun de permettre à l’élève de mobiliser la compétence acquise au terme de sa formation : à partir d’une question simple ou d’un texte court, poser un problème élémentaire en liaison avec le programme de notions, et proposer méthodiquement des éléments d’instruction de ce problème. Ce point est essentiel. Toute évolution des sujets d’examen qui perdrait de vue ce principe ne pourrait que compliquer les choses pour les élèves.

Tout est là : la commission qui sera en charge d’élaborer les sujets devra s’attacher à proposer deux questions et un texte court en relation avec le programme de notions, et présentant un caractère élémentaire. La commission ne devra donc jamais se demander quelle question ou quel texte sont abstraitement envisageables relativement à telle notion. Elle devra toujours se demander quelle question ou quel texte ne peuvent pas ne pas être compréhensibles par un élève qui a suivi et travaillé un cours obéissant lui-même au principe d’élémentarité. C'est ce principe qui ordonne que le sujet (qu'il prenne la forme de l'"énoncé" d'une question dans le cas de la dissertation philosophique ou de l'explication d'un texte court) soit choisi de manière à ce qu'il soulève un problème philosophique (renvoyant explicitement à au moins une notion du programme) et non plusieurs .

L’acte de produire des distinctions conceptuelles élémentaires constitue une part essentielle de ce que l’élève doit apprendre. On n’attend pas de lui telle ou telle distinction mais qu’il ait appris à produire une distinction pertinente pour le traitement du problème qu’il a choisi de poser à la question ou pour instruire le problème que pose le texte. En un mot, il ne faut pas chercher à simplifier les exercices en ajoutant des consignes, car cela compliquerait nécessairement les choses pour les élèves et pour la commission chargée de les élaborer. Pour cette raison, la SO.P.PHI a fait connaître sa désapprobation à l’égard de la réforme des sujets d’examen dans la série STHR. À ses yeux, cette réforme qui s’appliquera dès la session 2018 du baccalauréat complique au lieu de simplifier, et elle devra donc faire l’objet d’une évaluation sérieuse avant son éventuelle pérennisation ou généralisation à l’ensemble de la voie technologique . Plutôt que de s’égarer dans une démarche de cette nature, il faut chercher les questions et les textes les plus simples en eux-mêmes, ceux qui permettent aux élèves de démontrer qu’il ont bien acquis cette compétence philosophique : poser un problème philosophique élémentaire et proposer méthodiquement une possible résolution de ce problème.

4) La spécialité « Humanités, littérature et philosophie »

Reste alors la place de la philosophie dans la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » introduite par la réforme du baccalauréat.

Ce que nous en savons à ce jour indique que cette spécialité pourra enseignée ou bien par un professeur de philosophie ou bien par un professeur de lettres. Il convient donc que son programme justifie cette situation. Notre proposition est la suivante : le programme de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » doit être un programme composé de thèmes (et non de notions) et d’auteurs . Il s’agirait, en d’autres termes, d’une liste composée d’objets de réflexion. Ces objets de réflexion doivent justifier pleinement un enseignement qui soit à la fois littéraire et philosophique.

L’avantage d’un tel programme pour la philosophie au lycée serait double : d’une part il rappellerait à chaque professeur de philosophie que le programme du tronc commun n’est pas un programme de thèmes mais bien un programme de notions, et, d’autre part, il justifierait la place du professeur de philosophie dans la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » dans la mesure où il pourrait, à partir des thèmes du programme, dégager des problèmes philosophiques et mobiliser les textes philosophiques autorisés par la liste des auteurs.

Toutefois, ce que demande la SO.P.PHI, c’est que l’intitulé même de la spécialité « littérature et philosophie » soit bien respecté dans les établissements. Si la répartition des services importe peu dans leur distribution, elle importe dans la mesure où l'enseignement du professeur de philosophie a autant à apporter à la réflexion des élèves que l'enseignement du professeur de lettres. C'est pourquoi la SO.P.PHI demande que sur les deux années une parité soit garantie On peut, par exemple, envisager pour le professeur de lettres et pour le professeur de philosophie deux heures en première et trois heures en terminale. On peut également envisager quatre heures en première et une heure en terminale pour le professeur de lettres, et cinq heures en terminale pour le professeur de philosophie. Peu importe. Ce qui compte, c’est que les deux professeurs interviennent effectivement à parité puisque le programme de la spécialité doit être un programme commun de thèmes et d’auteurs. Par exemple, une œuvre commune peut être éclairée à la fois comme objet textuel du point de vue littéraire et comme objet de pensée du point de vue philosophique. En ce qui concerne l’évaluation de la spécialité, la SO.P.PHI est favorable à un sujet commun, comme une composition, qui serait corrigé indifféremment par un professeur de lettres ou par un professeur de philosophie.

Annexes : les programmes proposés par la SO.P.PHI pour l'enseignement en voie générale, et en séries technologique, et pour la spécialité "Humanités, littérature et philosophie"