J-M_Frey.jpg Extrait de la communication du 13 mars 2010 à Paris, la Sorbonne

L’enseignement de la philosophie en classes préparatoires aux grandes écoles s’inscrit dans la continuité du travail qui doit être accompli dans les classes terminales des séries générales et technologiques. Il ne propose pas une histoire de la philosophie. Il ne s’enferme pas dans une approche seulement historienne ou doctrinale. Sa présence au cœur du lycée n’est pas accidentelle. Elle invite à s’interroger sur la place de la philosophie dans la formation des lycéens.

Plutôt que de se perdre en revendiquant une initiation à la philosophie en amont des classes terminales ou de se contenter de ne rien faire en espérant que survivra une voie littéraire moribonde, pourquoi ne pas réfléchir à l’avenir de la philosophie dans les lycées en s’instruisant de ce qui se passe dans les classes préparatoires ? Pour bien préparer ses élèves aux concours, le professeur qui enseigne dans ces classes doit explorer tous les domaines qui recouvrent les grands champs de problèmes. C’est ce qu’il fait en première année aussi bien dans la voie littéraire que dans la voie économique et commerciale. Et puis, en deuxième année, il doit travailler avec ses élèves sur un petit nombre de domaines, d’œuvres, de thèmes. Ne doit-il pas alors tout reprendre ? Ne doit-il pas parcourir à nouveau tous les domaines ? S’il travaille, par exemple, sur la notion de vie, ne devra-t-il pas considérer les grands champs de problèmes, et les inscrire dans ces domaines que sont la métaphysique, la morale, la politique, la science, la technique et l’art ? Ne devra-t-il pas, d’une manière où d’une autre, considérer l’axe de la connaissance et l’axe de l’action ? On l’admettra volontiers : cette manière de faire éclaire ce que pourrait signifier un approfondissement du travail philosophique dans les classes terminales. Nous devrions être audacieux. Renoncer aux huit heures de la série littéraire. Proposer un horaire de quatre heures pour tous les élèves. Mais exiger une option lourde destinée à ceux qui sont les plus littéraires, ou bien à ceux qui auront besoin de la philosophie dans le supérieur (les futurs élèves en classes préparatoires, les futurs étudiants en médecine, etc.). En ce qui concerne l’horaire obligatoire, le programme serait alors le même pour tous. Il s’agirait d’un programme de notions. On pensera, par exemple, à l’actuel programme de la série économique et commerciale. Dans le cadre de l’option lourde, le programme serait constitué d’une seule notion ou d’une œuvre. La chose est à réfléchir. En tous les cas, il s’agirait, dans une certaine mesure, de reprendre tout ce qui est fait, parallèlement, dans le cadre de l’horaire obligatoire. À l’évidence, une telle réforme permettrait de retrouver dans nos classes du secondaire, et avec un horaire conséquent, des élèves qui s’orientent actuellement vers la voie scientifique pour des raisons économiques, stratégiques ou bien idéologiques sur lesquelles nous n’aurons jamais de prise.

On objectera peut-être que ce qui vaut pour les élèves des classes préparatoires ne saurait aucunement constituer un modèle pour le plus grand nombre. Soit. Néanmoins, il faut considérer la diversité de ces classes et des lycéens qu’elles accueillent. Il existe, par exemple, des classes préparatoires économiques et commerciales destinées aux élèves, souvent boursiers, issus des voies technologiques du secondaire. Ces formations n’ont pas un programme particulier. Elles ne préparent pas à des épreuves qui leur sont réservées. Et la philosophie y trouve sa place. Évidemment, le caractère élémentaire de l’enseignement de la philosophie dans les classes terminales doit être préservé. Toutefois, pourquoi l’élémentarité et la radicalité du questionnement interdiraient-elles de proposer un approfondissement de la réflexion philosophique à ceux qui en auront besoin dans la perspective de leur orientation future ?

En résumé, la continuité qui marque le passage du secondaire aux classes préparatoires aux grandes écoles est une spécificité du lycée français. L’enseignement authentiquement philosophique qui y est dispensé mérite d’être protégé comme un bien précieux au cœur de la République. Et nos réformateurs feraient bien de s’en inspirer.