L’académie de PlatonIl ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la disparition de la série L est tout sauf négligeable. A la place d’une classe de L, un enseignant aura deux classes, ce qui représente au moins 2/3 de copies en plus (on en donne en général un peu moins en S et ES qu’en L) à effectifs identiques. Au lieu de pouvoir s’installer dans un programme et une relation pédagogique plus approfondie, il faudra boucler le programme du cours commun (comme en ES, mais peut-être avec moins de notions, si nous parvenons à convaincre le CSP), et accepter de moins bien connaître les élèves. Enfin, reconnaissons-le, si la majorité des élèves de L ne choisissent pas cette série pour la philosophie, mais souvent pour les langues ou l’histoire des arts, la musique, les arts plastiques ou la littérature, et parfois aussi par défaut, un nombre difficile à évaluer (et qui s’ajoute à celui des élèves qui voulaient enseignement de huit heures de philosophie), mais qu’il ne faut pas négliger, découvrent une discipline qu’ils vont beaucoup apprécier. Peut-on ignorer tous ces aspects que l’on doit imputer au crédit de la situation présente et qui amènent à considérer la réforme en préparation comme une coupe sombre dans une réalité sinon parfaite du moins satisfaisante, une attaque contre la culture, une démarche dont la logique masquée est de pure gestion des moyens ?

Tous ces aspects sont indéniables. Il semble qu’il n’y ait qu’une alternative : ou bien on défend un statu quo (ce que ne font aucune des associations de professeurs de philosophie) que l’on peut considérer comme préférable à toute autre perspective pour les raisons évoquées, ou bien on essaie d’interroger ce qui existe afin de réfléchir ce qui se propose.

1. En ce qui concerne les horaires, qui considère que trois heures de cours hebdomadaires de philosophie (je n’évoque même pas les deux heures des séries technologiques dont l’insuffisance est impossible à nier) constituent un horaire acceptable ? Il faut partir de là : nous avons besoin d’un horaire plancher, quatre heures hebdomadaires est un minimum, à condition que le programme de notions soit raisonnable, c’est-à-dire adapté à un horaire en deçà duquel notre enseignement rencontre des difficultés incontestables. Nous pouvons, bien sûr, réclamer cet horaire plancher et exiger de garder la série L. Il me semble que c’est le meilleur moyen pour ne rien obtenir maintenant, et pour ne pas être considérés comme des interlocuteurs, mais comme des personnes sourdes à ce qui est considéré comme incontournable : une enveloppe budgétaire qui ne peut pas être augmentée (mais diminuée). Accepter de discuter, proposer, permet, au contraire de pouvoir continuer à discuter et, éventuellement, être entendu sur des demandes légitimes (augmentation de l’horaire des séries technologiques, qui devrait être notre urgence si nous considérons que quatre heures hebdomadaires constituent un minimum).

2. En ce qui concerne l’augmentation du nombre des copies, on ne peut que le reconnaître, mais se rappeler qu’il y la moitié (l’APPEP affirme qu’il y a 2300 classes de L en 2017, ce qui ferait une moyenne de 26 élèves par classe) des collègues professeurs de philosophie qui enseignent en L, et que plus de la moitié ont un service de 5 à 8 classes (avec le nombre de copies qui en sont la conséquence), service qui n’est pas seulement celui des quelques premières années d’enseignement, mais qui peut durer assez longtemps. Pour ces derniers collègues, le plancher de quatre heures hebdomadaires en séries générales (et il faut l’obtenir en séries technologiques !) sera un gain non négligeable, à la fois pédagogiquement et quant aux contraintes liées aux conditions d’exercice.

3. Venons-en à ce qui, du fait d’une espèce de trompe-l’œil, proposerait comme compensation de la perte de la Terminale L l’enseignement de spécialité « Humanités, littérature et philosophie ». Il n’en est rien. Dans la série L, il y a un enseignement de philosophie de huit heures hebdomadaires. L’enseignement de spécialité est un enseignement interdisciplinaire (il suffit de lire son intitulé pour le comprendre, le « et » souligne quelque chose comme une articulation de la littérature et de la philosophie). Il est important que nous investissions cet enseignement, avec notre spécificité, en sachant que nous aurons à le partager avec un ou une collègue de lettres. L’hypothèse de deux enseignements séparés ne correspond pas à cet enseignement de spécialité ; sinon, il y aurait eu deux enseignements de spécialité séparés : « Humanités, littérature » et « Humanités, philosophie », ou peut-être « Humanités, littérature, philosophie ». Ce qui signifie que, comme en classe préparatoire Économique et Commerciale, on peut penser à un même programme (un ou plusieurs thèmes, pourquoi pas liés à une œuvre de philosophie et une de littérature) traité en parallèle par un professeur de philosophie et un professeur de lettres, qui auront certainement intérêt à discuter de leurs démarches spécifiques, leurs parcours, leurs exercices, et qui prépareront à une seule épreuve. Nous perdons en autonomie, ce que nous gagnons en complémentarité. Nos élèves, de leur côté, apprendrons ce qui est si difficile pour eux (du fait même de l’organisation disciplinaire de l’enseignement en France) : construire et utiliser des ponts entre des disciplines.

4. Il y aura peut-être moins d’effectifs dans cet enseignement de spécialité qu’il n’y en a en Terminale L. Mais, si l’on regarde la manière dont est pensée la classe de terminale, les élèves devront choisir deux disciplines de spécialité parmi les trois disciplines qu’ils auront retenues en première. Nous pouvons parier que nous garderons entre un tiers et la moitié de nos effectifs (il suffit de regarder les propositions de spécialités). Il y aura donc entre 1/6 et 1/4 de des collègues de philosophie qui enseigneront (souhaitons-le) deux heures en première et trois heures en terminale au mieux, si le ministère impose la parité à ces deux niveaux. Et la SO.P.PHI demande que, sur les deux années, cette parité soit respectée. Ajoutons, que nous aurons peut-être (mais à la marge) des couples de spécialités « Humanités… » et « Sciences économiques et sociales », ou « Sciences de la vie et de la Terre », même si ce sera moins qu’avec « Arts » ou « Langues et littératures étrangères ». Dans tous les cas, avec une parité, nous (certains d’entre nous, peut-être entre 500 et 1000, au lieu des 2000 qui enseignent en L vraisemblablement) bénéficieraient de cinq heures hebdomadaires en enseignement de spécialité. Nous perdons donc bien la L, dans ce membre de l’alternative ; mais il n’est pas certain que nous (ni nos élèves) ne soyons perdants. Tous serons traités également dans « le tronc commun » (un même horaire commun, avec un même programme), et certains pourront, dès la première, rencontrer la philosophie qu’ils travailleront effectivement en terminale avec le programme de notions du « tronc commun».

C’est pourquoi il ne faut pas mépriser cette réforme : si elle est mise en œuvre, et, pour le moment, rien n’indique qu’elle ne le sera pas, il est important que nous prenions toute notre place, et que cette place permette à nos élèves d’apprendre à philosopher. Il sera décisif d’obtenir que le MEN garantisse les horaires et les modalités de notre enseignement afin d’éviter que les craintes avancées par beaucoup de nos collègues ne se réalisent. Il faut lire ce qui nous est proposé dans la réforme de manière ambitieuse, et donc demander à ce que les moyens soient en adéquation avec les ambitions. Sinon, cette réforme n’a pas de sens.