J-M_Frey.jpgCommunication faite à Paris, la Sorbonne, le 13 juin 2009

Avec la réforme des lycées qui se profile, les professeurs de philosophie ont de bonnes raisons de s’alarmer. Cependant, nous ne devons pas nous laisser troubler par les divers rapports et propositions. Nous devons d’abord mettre en avant ce qui nous rassemble. Ce qui fait le cœur même de notre métier. Nous pourrons alors en déduire ce qu’il faut penser de la volonté de maintenir la filière littéraire à tout prix, d’introduire un enseignement de la philosophie en première, etc. Or, en participant au colloque : « Enseigner la philosophie, faire de la philosophie » qui s’est tenu à Paris les 24 et 25 mars 2009, beaucoup ont pu mesurer à quel point notre métier y a été mis en question. Et c’est une bien étrange conception de la relation entre les professeurs du secondaire et l’Université qui a été présentée. C’est la raison pour laquelle, au nom de la Société des Professeurs de Philosophie, j’ai écrit début mai à Simon Perrier pour proposer à l’APPEP une réunion publique permettant de faire le point sur les vraies conditions d’une formation philosophique. À cet égard, la question de la nature du programme de philosophie en classes terminales est centrale. Il y a quelques années, l’immense majorité des professeurs de philosophie a obtenu que ce programme soit, conformément à la spécificité de notre enseignement en Europe et ailleurs, un programme de notions. Or, précisément, c’est ce que le colloque institutionnel du mois de mars a mis en cause !

Dans la présentation du programme d’enseignement de la philosophie de 2003, on peut lire : « Dans les classes terminales conduisant au baccalauréat des séries générales, le programme se compose d’une liste de notions et d’une liste d’auteurs. » Le texte portant sur les séries technologiques reprendra exactement la même définition du programme. Cela signifie que notre enseignement porte sur des problèmes. « Les notions, lit-on dans le texte officiel, définissent des champs de problèmes abordés dans l’enseignement. » Ce point est capital. Il révèle les raisons pour lesquelles le colloque du mois de mars présente un véritable danger pour notre métier.

1- D’abord, puisque notre programme est un programme de notions, nos leçons doivent consister, dans nos classes, à poser et à instruire un problème avec nos élèves. Cela permet d’écarter toutes les dérives historiennes ou doctrinales. L’absence totale de référence aux problèmes lors de notre colloque indique-t-elle un changement de cap ? Faut-il en déduire que l’attachement des professeurs à la dimension problématique de leur enseignement est dépassé ? Si c’est le cas, comment évitera-t-on de retrouver les conflits qui, il y a quelques années, ont débouché sur la publication du programme que nous connaissons aujourd’hui ?

2- Ensuite, parce que notre programme est un programme de notions, la doxographie n’a pas sa place dans l’élaboration d’une leçon digne de ce nom. Lorsque le maître et l’élève éprouvent l’inquiétante résistance d’un réel qui ne se laisse pas aisément appréhender, c’est un problème qu’ils rencontrent, et non en premier lieu une doctrine. Et le recours aux grands auteurs n’a de sens que dans la mesure où il permet de poser et d’instruire ce problème. N’est-ce pas l’exercice de la pensée philosophique qui est ici en jeu ? En ce cas, comment disjoindre l’enseignement de la philosophie et l’acte même de faire de la philosophie ? On comprendra ce qu’il y avait de contestable dans l’étrange représentation de la relation du secondaire au supérieur induite par l’organisation du colloque du mois de mars. Le premier jour, quelques universitaires étaient mis en situation de philosopher. Mais qui aurait pu y reconnaître l’élémentarité et la radicalité qui sont propres à l’enseignement de la philosophie en classes terminales ? Le lendemain, des professeurs du secondaire devaient se retrouver dans des ateliers pour parler de l’enseignement de la philosophie. Enseigner la philosophie ne serait-ce donc pas vraiment faire de la philosophie ? Les professeurs qui enseignent dans les classes terminales ne sauraient accepter une telle conception de leur métier.

3- Enfin, si notre programme est un programme de notions, cela signifie qu’il ne saurait être enfermé dans une détermination arbitraire. Ce point est mis au jour par l’épreuve à laquelle notre enseignement prépare les élèves. Les sujets du baccalauréat, qu’il s’agisse de la question ou de l’explication de texte, portent précisément sur des problèmes. « Les sujets donnés à l’épreuve du baccalauréat, lit-on dans le texte de 2003, porteront sur les notions (colonnes 1 et 2) La structure du programme autorise que ces sujets puissent recouper divers champs. » En d’autres termes, la présentation du programme en colonnes n’induit aucune restriction dans la mise en relation des notions, des champs de problèmes. Le colloque du mois de mars avait-il pour vocation de revenir sur ce caractère essentiel de notre travail de professeur de philosophie ? Est-ce par le moyen d’un recours aux « repères » que l’on espère une sorte de « détermination » du programme ? À cet égard, l’intervention sur « L’universel et le singulier » fut éloquente ! « Les repères, est-il pourtant écrit dans le texte de 2003, ne feront en aucun cas l’objet d’un enseignement séparé ni ne constitueront des parties du cours. » Pour cette raison, précise le même texte, les sujets d’examen ne les prendront pas directement pour objet.

En un mot, l’absence de toute référence aux notions lors du colloque institutionnel du mois de mars fut bien significative. Mais, comme en témoigna la table ronde : « Concept, texte, argument », a-t-on même parlé de notions, c’est-à-dire de champs de problèmes ? En tous les cas, on put retrouver cette étrangeté dans certains ateliers animés par des membres actifs de l’ACIREPH. On y entendit parler, par exemple, du « dogme » du programme.

On l’aura compris, mettre en question le programme de notions, c’est dénaturer un enseignement qui, dans l’école de la République, est proprement philosophique. Et que l’on ne nous dise pas qu’un tel programme est si vaste qu’il ne permet pas de préparer véritablement nos élèves à l’épreuve du baccalauréat. Quiconque s’attache, par exemple, à élaborer des sujets rigoureusement conformes au programme de la série scientifique, s’aperçoit immédiatement que le champ des possibles est très limité. Peut-être même trop restreint. Cela indique que nos programmes sont perfectibles. Qu’ils n’ont rien de sacré ! Et que leur application mériterait aujourd’hui une évaluation sérieuse.