Platon_Aristote.jpgAu moment où la présidence du Conseil Supérieur des Programmes est renouvelée, la Société des Professeurs de Philosophie rappelle sa position relativement au caractère essentiellement laïc des programmes de philosophique dans les lycées de la République.

Les professeurs de philosophie sont concernés au premier chef par la question de la laïcité pour cette raison que « La religion » figure au programme du baccalauréat. Plus profondément, la classe de philosophie se distingue en cela que « la religion » n’y est pas traitée comme un « fait » culturel ou historique mais comme une notion. Or une notion philosophique se définit non par un contenu positif, mais par un champ de problèmes déterminés qui lui est inhérent. Qu’est-ce donc que « la religion » (et non pas telle ou telle religion positive ou factuelle), quel rapport au monde, aux autres et à soi, exprime-t-elle ? Tel est fondamentalement le problème élémentaire que pose la notion de religion pour le regard philosophique, et ce non à quelques spécialistes, ou à quelques communautés particulières, mais à tous, à tout élève doté d’une égale et libre capacité de penser par soi-même.

Les professeurs de philosophie lisent l’Euthyphron, ce dialogue de Platon sur la piété, dans lequel Socrate fait usage de sa liberté de penser et de s’exprimer pour conclure à la nature irrémédiablement interrogative de toute science en matière de religions. La pertinence d’une telle lecture, en matière de laïcité et de libre construction de soi, est double : on y trouve d’une part le portrait d’un véritable fanatique, tellement persuadé d’avoir la science de dieu et de ce qu’il veut qu’il est prêt, au nom de son prétendu savoir, à tuer tous ceux qui lui paraissent impies, à commencer par son propre père. La seconde leçon essentielle de l’Euthyphron est que la question de notre rapport au « divin » qui est par définition un problème puisque, à moins de sombrer dans l’anthropomorphisme, on entend par là autre chose que l’humain, est une question qui s’adresse à tous, à pied d’égalité, et non aux seuls spécialistes de tel ou tel culte particulier, encore moins aux serviteurs d’une religion d’État. C’est pour avoir posé ce problème de l’usage abusif, voire criminel d’un faux absolu religieux, « absolu » relatif en réalité à tel ou tel groupe particulier, que Socrate, accusé d’impiété, a été condamné à mort.

Ce n’est pas seulement par le rapport qu’elle entretient à la notion de religion que la philosophie occupe une position centrale dans l’institution scolaire républicaine. Les autres notions des programmes de la voie générale et de la voie technologique (la vérité, la liberté, la nature, la justice…) soulèvent directement ou indirectement des problèmes qui engagent la notion de religion. Mais c’est en vérité l’enseignement philosophique en tant que tel qui est un pilier de l’école laïque puisque son objet est d’œuvrer à l’émancipation de la raison par l’usage réfléchi du jugement, pour lequel aucun donné ne peut prétendre à l’absolu ni faire l’économie de l’examen critique. En cela, la philosophie prend une part irremplaçable dans le droit de chaque citoyen en construction à s’instituer comme l’auteur d’une pensée libre, affranchie du joug des héritages. Il ne s’agit bien sûr aucunement de combattre quelque religion que ce soit, mais tout simplement de mettre les élèves en situation de pouvoir adopter en pleine conscience et en toute liberté une religion comme de n’en adopter aucune. Le professeur de philosophie est un instituteur de cette liberté qui est ce commun sans lequel il ne peut y avoir de peuple véritable. Il s'agit de faire d'individus que leurs différences divisent des citoyens que les valeurs de la République rassemblent !

Affranchir des origines reçues pour ouvrir l'espace d'une existence choisie, tel est donc le beau métier que les membres de la Société des Professeurs de Philosophie assument et revendiquent. Pour cette raison, ils seront attentifs à ce que le CSP reste toujours vigilant au strict respect de ce qu’exige un authentique enseignement philosophique dans les lycées de la République : un enseignement laïc.