Portait 2Communication faite à Paris, la Sorbonne, le 13 juin 2009

Comme cela a été rappelé lors la précédente table ronde, le métier de professeur de philosophie est déterminé par le fait que notre programme soit un programme de notions. Pour cette raison, enseigner la philosopher, c’est faire de la philosophie. Notre métier consiste à faire un cours philosophique de philosophie. Si l’on veut bien considérer que, selon la formule bien connue de Kant : « on n’apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher », alors le professeur lui-même – et pas seulement l’élève – n’a jamais fini de faire le tour de la philosophie. Ce qui veut dire aussi que nous n’avons jamais fini de faire le tour de notre enseignement, qui se transforme à mesure que nous évoluons dans notre pensée, et qui transforme celle-ci à mesure que nous enseignons. En ce sens, il n’y a pas de séparation possible, entre « faire de la philosophie » et « enseigner la philosophie » : non pas que pour faire de la philosophie il faille nécessairement l’enseigner, mais parce qu’en tout cas, l’enseigner, ce n’est possible qu’en en faisant. Évidemment, cela n’est pas sans effet sur la conception que l’on doit avoir de la formation continue des professeurs de philosophie, et sur le rôle de l’Université dans le cadre de cette formation.

Deux axes doivent ici être pris en considération. D’abord, la formation continue doit être une formation permanente. En d’autres termes, un professeur de philosophie est amené à actualiser sans cesse ses connaissances. Par ce moyen, il conforte sa compétence disciplinaire. Celle-ci, chacun le sait bien, est une condition nécessaire de tout enseignement. Ensuite, la formation continue des professeurs de philosophie doit permettre de mener un travail de fond sur l’enseignement même de la philosophie. De ce point de vue, une authentique formation continue consiste en un acte collégial de réflexion sur les notions qui constituent nos programmes. À cet égard, le travail sur les œuvres est essentiel. Qu’est-ce qu’une œuvre philosophique, sinon une manière exemplaire de poser un problème et de l’instruire ? Lorsque dans l’académie de Nantes, pour ne citer que cet exemple, nous travaillons sur l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, ou sur la troisième Critique de Kant, nous reprenons des œuvres que non seulement nous sommes tous censés avoir lus, mais que souvent aussi nous croyons maîtriser sinon parfaitement, du moins de manière pertinente. Et, dans ce cadre, ce que nous rencontrons, ce sont les champs de problèmes constituant nos programmes ! On comprend ainsi pourquoi, dans un cours, l’étude des œuvres ne doit pas s’ajouter au traitement des notions puisque, précisément, cette étude est un mode de traitement des notions…

Ces deux axes déterminent ce que doit être la relation du secondaire et du supérieur dans le cadre de la formation continue. D’abord, le professeur du supérieur apporte sa compétence. Les enseignants du secondaire ne peuvent qu’en tirer profit. Ainsi, dans l’Académie de Nantes, lorsqu’un éminent universitaire vient conclure nos travaux sur le Traité des passions de Descartes, il apporte à la formation des maîtres une irremplaçable dimension scientifique. Mais la formation continue ne peut pas consister en la simple acquisition, par les professeurs du secondaire, du dernier état des travaux dans tel ou tel domaine, comme il semble qu’on ait voulu en persuader les participants au colloque du mois de mars dernier. Pour le dire autrement, il ne peut pas être philosophiquement justifié de considérer que la tâche des uns – enseignants du supérieur – serait de « faire de la philosophie » que les autres – enseignants du second degré – n’auraient plus qu’à « enseigner » à leurs élèves. Une formation continue véritable ne peut être de réception passive ; elle est au contraire active, si l’on veut bien admettre, encore une fois, que le travail du professeur de philosophie n’est pas de réciter mais bien de construire une réflexion sur la base des notions de son programme. De ce point de vue, les professeurs du supérieur doivent apporter leur regard sur les champs de problèmes qui intéressent l’exercice de notre métier. Par exemple, alors que la notion de passion n’est plus au programme des classes terminales, l’intervention d’un collègue universitaire aura permis aux professeurs nantais de comprendre comment le Traité de passions de Descartes permet d’envisager un traitement riche des notions de matière et esprit, de vivant, de conscience, de sujet, etc. Le contenu même de ce stage ne pouvait certainement pas être repris tel quel devant une classe de Terminale, puisqu’il n’était pas destiné à cela. Lors de ces rencontres, il ne fut pas question de déterminer comment nous devions traiter ces notions, quelle forme unique nous devrions donner à nos cours pour traiter de telle ou telle œuvre. Nous avons consacré du temps à approfondir notre appréhension de ces notions, notre connaissance de ces œuvres. Tel est le principe : nous devons nous rencontrer en tant que pratiquants de la philosophie, si l’on peut dire, et chercher à remobiliser notre curiosité, à renouveler notre intérêt, à satisfaire notre besoin de revenir à des textes fondamentaux, dans une démarche où les points de vue des uns ne peuvent qu’enrichir les autres. Ainsi, il n’y a là aucune confiscation de la pensée, ou exercice d’autorité. IPR, professeurs du supérieur et professeurs du secondaire se retrouvent véritablement entre collègues, et la discussion critique entre tous n’est jamais faussée par des soucis de préséances hiérarchiques.

L’outil informatique doit évidemment trouver sa place dans la formation continue des professeurs. Pour cette raison, la politique éditoriale des pages Philosophie du site de l’Académie de Nantes consiste à établir un lien étroit entre le comité de pilotage de ce site, et le groupe d’élaboration des stages de formation continue. Dans la volonté que cette formation soit précisément continue, des comptes rendus de stages sont publiés sur le site.

On pourra toujours considérer que la rentabilité d’une telle formation continue n’est pas quantifiable : on ne peut mesurer la richesse des nouvelles approches qu’un enseignant peut assimiler lors des stages ; cette richesse ne pourra véritablement s’apprécier qu’après-coup, lorsque le collègue aura repris le travail consacré à ses cours en y intégrant ces nouvelles approches. C’est à ce titre que cette formation est indispensable, si nous ne voulons pas que notre métier se réduise à une pure et simple reprise d’anthologies ou de manuels aux discours « prémâchés » et « prédigérés ». La formation continue doit être un enjeu majeur de notre réflexion, parce que si enseigner la philosophie aux élèves, c’est faire de la philosophie avec eux, cela commence par l’exigence d’un tel travail sur soi, en quoi consiste précisément l’activité philosophique véritable.