L’académie de PlatonEn avril 2023, l’Inspection proposera aux professeurs de philosophie de l’académie de Versailles une formation à partir, notamment, de ces objets : « Comment se défendre par la parole ? Une tentative d’autodéfense intellectuelle et verbale féministe en Première HLP » ; « Comment les femmes ont été exclues en philosophie : philosophesse (sic) et constitution du canon philosophique XVIIIème-XIXème siècles » ; « Réflexion sur la notion de nature, à partir d’un corpus écoféministe en classe de Terminale générale » (ce qui, étonnamment, excluait les élèves de la voie technologique). Cette journée sera à l’évidence consacrée à une belle idée : l’égalité entre toutes les personnes sans laquelle la République s’étiole. Si sa finalité est, en ce sens, indiscutable, on peut se demander si les moyens proposés par cette formation sont pertinents, voire légitimes.

Passons sur le féminin de « philosophe » forgé sans référence ni au dictionnaire ni à l’usage : est-ce le rôle d’un enseignement encadré par un programme et un examen nationaux d’imposer aux élèves un tel lexique, lorsqu’ils ont déjà tant de mal à maîtriser le français ordinaire ? Plus gênant, les formulations de cette formation qui véhiculent des parti-pris qu’en bons professeurs de philosophie on ne peut qu’interroger. L’idée d’une « autodéfense féministe » ne véhicule-t-elle pas des présupposés non seulement qui ne sauraient avoir de sens sans interrogation critique mais susceptibles de contredire la finalité en postulant une inégalité entre les élèves garçons et les élèves filles, introduisant dans la classe un climat de division peu propice à la réflexion sereine et éclairée ?

Les objets retenus par l’Inspection pour cette journée de formation fournissent une occasion de revenir sur la nature des programmes de philosophie.

Dans la présentation des programmes d’enseignement de la philosophie pour les voies générales et technologiques, on peut lire : « Le programme de l'enseignement de la philosophie dans les classes terminales reprend le principe qui constitue la norme constante et reconnue de la discipline : c'est un programme de notions auxquelles s'adjoint une liste d'auteurs. » Cela signifie que notre enseignement porte sur des problèmes. « Communément partagées, ces notions font l'objet d'une élaboration conceptuelle mettant en évidence les problèmes que soulèvent leur définition et leur articulation entre elles. » Ce point est capital au regard de l’exercice du métier de professeur de philosophie dans les lycées de la République :

1– D’abord, puisque les programmes de philosophie sont des programmes de notions, nos leçons doivent consister, dans nos classes, à poser et à instruire un problème avec nos élèves. Cela permet d’écarter toutes les dérives historiennes ou doctrinales. Concernant le « corpus » de cette formation, il réserve la portion congrue aux auteurs figurant aux programmes au profit d’auteurs qui n’en font pas partie. Si tout cours jouit de la liberté de solliciter d’autres auteurs, est-ce sa fonction que de refaire les programmes en en inversant les priorités ? Derrière les auteurs composant une culture philosophique commune c’est la garantie de la bonne évaluation du travail des élèves qui est en jeu.

2– Ensuite, parce que nos programmes sont des programmes de notions, la doxographie n’a pas sa place dans l’élaboration d’une leçon digne de ce nom. Lorsque le maître et l’élève éprouvent l’inquiétante résistance d’un réel qui ne se laisse pas aisément appréhender, c’est un problème qu’ils rencontrent, et non en premier lieu une opinion ou une doctrine.

3–  Enfin, un « programme de notions veille à n'imprimer aucune orientation doctrinale particulière ni aucune limitation arbitraire du traitement philosophique des notions ». Tenter une sorte de « détermination » des programmes de philosophie par le moyen d’un recours aux « repères », c’est donc renverser l’ordre philosophique voulu par les textes en faisant d’un mode une substance. Les repères (par exemple, « Genre/espèce/individu », « Identité/égalité/différence ») ne sont en effet que des « distinctions lexicales et conceptuelles qui, bien comprises, soutiennent la réflexion que l'élève construit pour traiter un problème ». Par suite, ils « ne font en aucun cas l'objet d'un enseignement séparé ni ne constituent des parties de cours. »

Parce qu’ils sont des programmes de notions, les programmes de philosophie, dans la voie générale et dans la voie technologique, prescrivent un enseignement proprement philosophique. La SO.P.PHI considère que l'Inspection doit être garante de la mise en œuvre de ces programmes, et qu’elle doit mettre en garde contre ce qui ne peut que perdre de vue, et même nuire à la nécessité d'instruire de manière élémentaire nos élèves. Dans l’école de la République, on n’apprend pas une pensée. On apprend à penser philosophiquement !