L’académie de PlatonAu premier abord, la réforme du Ministre Peillon ne semble concerner que les professeurs enseignant en classes préparatoires aux Grandes Écoles. Certes, cette réforme aurait pour effets immédiats une baisse de leurs revenus ou bien l'obligation d'alourdir leur service sans rémunération supplémentaire. On est en droit de se demander en quoi ils ont à ce point démérité pour être ainsi sanctionnés. Toutefois, au fond, ce qui est à l’ordre du jour, c’est une mise en cause de la nature même du métier de professeur. Un changement de cette ampleur concerne également les professeurs du secondaire et, notamment, ceux qui ont en charge l’enseignement de la philosophie.

Un détail des propositions du Ministère est déterminant : la possibilité, offerte aux professeurs des classes préparatoires qui se trouveraient en sous-service, de compléter leur emploi du temps par des heures de Khôlle. Une telle équivalence revient à assimiler une heure de cours à une heure d’interrogation orale. Mais ces deux temps de formation sont-ils de même nature ? Rien n’est moins assuré.

Pour le professeur de philosophie, une heure de cours correspond, essentiellement, au temps d’une leçon, au déploiement d’une réflexion dans une durée permettant de poser un problème et d’instruire ce problème. À ce moment de la formation, le professeur travaille avec ses élèves en suscitant le libre exercice du jugement de chacun. Pour cette raison, les programmes de philosophie sont des programmes de notions. Une notion n’est-elle pas un champ de problèmes ? L’heure de Khôlle est d’une nature différente. Le professeur consacre ce temps à l’évaluation du travail de son élève. À ce moment, l’élève prend en quelque sorte la place du maître. Certes, la chose se produit également dans le cours, puisque le professeur vérifie les acquis de ses élèves à tous les moments de son enseignement. Toutefois, à présent, ce contrôle résume la tâche à accomplir. C’est seulement l’élève qui invite à poser un problème et à instruire ce problème. Une question, ici : le temps de la leçon et le temps de la stricte vérification individualisée des acquis sont-ils interchangeables ? D’abord, puisque la République ne considère pas que le modèle de tout enseignement soit le cours particulier, une Khôlle n’est pas un cours. Ensuite, puisque la République n’attend pas de ses professeurs qu’ils se contentent de prendre la place de leurs élèves, un cours n’est pas une Khôlle. N’est-ce pas ce qui explique que les heures d’interrogation orales ne soient pas rémunérées comme des heures de cours ?

La confusion des leçons et des Khôlles, révèle donc, au mieux, l’impréparation de la réforme ou, au pire, une ignorance absolue de ce qui constitue la nature, et, osons le mot, la grandeur du métier de professeur de philosophie. Il est vrai qu’au yeux de nos réformateurs il n’existe plus de grandeur, mais seulement des quantités mesurables au moyen des instruments de la technocratie qu’ils affectionnent. Ainsi, après les enseignants des classes préparatoires, il faudra bien que tous les professeurs comprennent que de leurs cours on a une bien piètre opinion, et que ce qui compte, dorénavant, c’est seulement le temps qu’ils passent dans l’enceinte de leur établissement.

Jean-Marie Frey, Président de la SO.P.PHI

(Publié le 11/12/2013)